En Europe occidentale, l’histoire des relations entre la République romaine et les Gaulois s’étale sur plus de quatre siècles. Avant leur annexion définitive par Rome, les territoires gaulois transalpins vont connaître, au cours de cette période, de nombreuses mutations économiques, politiques et culturelles qui modifient en profondeur les habitudes de vie des habitants et transforment le paysage. Au fur et à mesure de leur passage sous l’administration romaine, des sites gaulois, dont bien souvent nous ignorons le statut, seront ainsi soit progressivement abandonnés, soit transformés en agglomérations. Ce sera le cas de Metlosedum – Melun – dont l’occupation gauloise laissera la place vers le changement d’ère à une bourgade romaine.
La région de Melun à la protohistoire
Les fouilles d’archéologies préventives effectuées à l’occasion des décapages de grandes surfaces autour de l’actuelle agglomération melunaise, ont permis la mise au jour de nombreux établissements ruraux au statut souvent indéterminé et dont l’occupation remontait souvent à l’époque de La Tène, voire avant. Ceci laisse entrevoir que la région a connu une occupation dense et déjà structurée au cours du premier millénaire avant notre ère.
Melun (Metlosedum) à l’époque gauloise
Ce n’est pas un hasardsi le site sur lequel s’implante l’agglomération de Metlosedum est fréquenté depuis la plus haute Antiquité. En effet, sur des kilomètres en aval et en amont de Melun, les coteaux de la rive droite de la Seine constituent un obstacle naturel important à la traversée du fleuve, plus de 20 m de dénivelée à forte pente. Le seul passage à pente douce, à la fois sûr et accessible aux hommes comme aux chariots, se situe à Melun. De plus, ce passage profite de la présence du gué qui relie les deux berges via les îles.
L’existence de Metlosedum est évoquée par César à plusieurs reprises au livre VII de son récit relatant la conquête des Gaules au milieu du 1er siècle avant notre ère. Le chapitre 58 est, en particulier, très intéressant par les informations qu’il nous donne : « C’est un oppidum des Sénons situé sur une île de la Seine, comme nous avons dit un peu auparavant qu’était Lutèce. Labienus s’empare d’environ cinquante navires, les unit rapidement les uns aux autres et y jette des soldats. Surpris et effrayés, les gens de l’oppidum, dont un grand nombre d’habitants étaient partis pour la guerre, se rendent sans résistance. Il rétablit le pont que l’ennemi avait coupé les jours précédents, y fait passer son armée et fait route vers Lutèce en suivant le cours du fleuve ».
Le récit du conquérant est clair, il s’agit bien d’un site habité se trouvant sur une île de la Seine, qu’il qualifie d’oppidum et qu’il rattache à la cité des Sénons. Il précise également que l’endroit est relativement peuplé puisque d’une part, un grand nombre d’habitants est parti à la guerre (probablement les hommes en état de porter les armes), et d’autre part que les autres se sont rendus sans résistance. La position est importante sur le plan stratégique mais également du point de vue économique et géographique puisque Labienus, son lieutenant, s’empare de 50 « navires » et répare le pont lui permettant de franchir le fleuve. Ce nombre conséquent d’embarcations est évocateur de l’importance du trafic fluvial à cette époque et du rôle que jouait Metlosedum pour ce type de transport.
Aux chapitres 58 et 60 du livre VII du Bellum Gallicum, César emploie deux termes distincts pour désigner les « bateaux » dont s’empare Labienus. Il s’agit de naves (pluriel de navis) à Metlosedum, et de lintres (pluriel de linter) pour ceux réquisitionnés à Lutèce. L.-A. Constans traduit naves par navires et lintres par barques, suivant en cela le dictionnaire latin-français de F. Gaffiot. Dans ce dictionnaire, à la page 914, linter, a le sens de petite barque, esquif ou nacelle, et à la page 1016, navis est un navire important, pouvant être ponté, et même utilisé pour le transport ou la guerre. Malheureusement L.-A. Constans n’avait pas à sa disposition les données apportées depuis par l’archéologie subaquatique qui ont révélées l’existence de chalandssur les fleuves de Gaule.
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Mais, pour le moment, les prospections effectuées dans cette partie de la Seine n’ont livré que des pirogues monoxyles datées de la Préhistoire. Par ailleurs, l’utilisation par les populations locales de bateaux importants comme les chalands est tout à fait plausible. Nous en donnons pour preuve la découverte à Chelles (77) d’un aménagement portuaire sophistiqué d’époque gauloise, fouillé par l’INRAP, et la construction en territoire melde, sur ordre de César, durant l’année 54 av. J.-C., d’une partie de la flotte destinée à envahir la (grande) Bretagne. Pragmatique, le conquérant utilise à bon escient le savoir-faire des artisans et charpentiers de marine gaulois. Il est donc possible que le terme navis qu’il emploie ait désigné de grandes barques de type chaland (identiques à celui de la fig. 2) destinées entre autres au transport de marchandises. Ainsi s’expliquerait la rapidité avec laquelle Labienus réussit à faire traverser la Seine en aval de Lutèce à trois légions (environ 12 000 hommes), quelques heures avant sa bataille victorieuse sur les troupes de Camulognenos.
On peut donc s’interroger sur la présence à Metlosedum d’une flottille de cinquante naves (des chalands ?), celle-ci ne pouvant s’expliquer que par l’importance des échanges commerciaux au niveau du site. Dans ces conditions, la présence d’un lieu d’accostage ou d’un appontement destiné à faciliter le chargement et le déchargement des marchandises est plus que probable, même s’il n’a pas encore été retrouvé. Quant au pont, sa présence révèle une volonté de franchir le fleuve dans de bonnes conditions pour accéder facilement au nord de la Gaule, ce dont Labienus profite pour faire traverser son armée d’une rive à l’autre.
Ainsi, à partir du récit césarien, la bourgade de Metlosedum, implantée au nord-ouest de la cité des Sénons à la frontière de celle des Parisii, apparaît comme un lieu important, à la population nombreuse, situé à un point idéal de franchissement du fleuve et bénéficiant certainement, grâce à son trafic fluvial et au pont, de ressources économiques mais aussi fiscales importantes puisque l’existence de péages est déjà attestée à cette époque.
Silvio Luccisano
(article complet en téléchargement ici)